Avons-nous besoin d'un mouvement "introvertiste" ?
Les introvertis, cette communauté qui ne fait pas assez valoir ses droits.
On me dit souvent que je suis “une fausse introvertie” parce que je m’exprime avec assurance en société. En effet, je ne suis pas timide ni gênée à l’idée de prendre la parole en public. Mais le fait de dire ce que je pense et raconter des anecdotes de vie en soirée ne fait pas de moi une extravertie pour autant !
Tel un caméléon, je sais m’adapter à ce que valorise la majorité : les personnalités extraverties, qui sortent beaucoup, ont une vie sociale fournie et prennent de la place dans l’espace public.
Mais pour être totalement honnête avec vous, camoufler mes petites habitudes d’introvertie m’épuise profondément.
Selon le Myers Briggs Indicator, les introvertis constitueraient entre 49 et 51 % de la population.
Alors pourquoi devrai-je ressentir le besoin de me métamorphoser ?
Ça fonctionne comment un·e introverti·e ?
Au yeux d’un·e extraverti·e, un·e introverti·e pourra passer pour un·e sauvage asocial·e. En effet, des situations qui semblent naturelles et agréables à des extravertis pourront s’avérer épuisantes, terrifiantes ou dérangeantes pour des introvertis. Parmi celles qui reviennent souvent, on peut noter :
Rassembler différents groupes d’amis qui ne se connaissent pas
Aller à une soirée où on ne connait qu’une seule personne
Faire du small talk (“Ah oui, il fait beau chez toi ? Argh l’ascenseur pas réparé depuis 3 mois c’est chiant … “)
Ne pas avoir de “moment en solo” pendant plus de 24h
Prendre la parole devant un groupe constitué de plus de deux personnes
Rencontrer de nouvelles personnes
Parler à des inconnus
Avoir des moments de sociabilisation imprévus
En fait, en tant qu’introvertis, nous perdons beaucoup d’énergie au contact des autres. Notre “batterie sociale” semble arriver plus rapidement à débordement. À l’inverse, le fonctionnement extraverti serait opposé : ces derniers se rempliraient d’énergie en présence d’autrui.
Les introvertis doivent donc recharger leurs batteries sociales fréquemment et rationner la fréquence et l’intensité de leurs interactions, sinon, ils s’épuisent.
Les introvertis, cette population oubliée par la société
Rentrons dans le vif du sujet.
J’ai remarqué que j’avais un vrai blocage dans le fait d’assumer prendre du temps pour recharger mes batteries sociales, comme si je n’assumais pas pleinement mon fonctionnement d’introvertie.
Parfois, j’identifie ce blocage à une peur de type FOMO (Fear Of Missing Out, ou la peur de passer à côté du grand événement ou moment dont tout le monde va parler), mais le plus fréquemment, je ne ressens tout simplement pas le droit d’exprimer le besoin de recharger mes batteries sociales.
En bonne coach, j’ai analysé ce blocage psychologique. Il semblerait qu’une injonction au besoin de liens sociaux se soit créée en moi, au cours de mon éducation, de mes échanges ou de mes interactions avec mes amis et proches.
Ça y est, j’avais mis le doigt dessus.
Est-ce dû au fait que mon ex était très extraverti et me demandait tous les soirs de sortir prendre un verre avec des amis ? Probablement en partie.
Ou alors est-ce dû au fait que dès que je souhaite partir d’une soirée à minuit les invités me disent “Nooon Roxane, pas déjà ? Reste avec nous, on s’amuse si bien !” Sûrement un peu aussi.
Aujourd’hui force est de constater qu’il est plus socialement valorisé de passer sa soirée à boire des coups au bar plutôt qu’à lire et réfléchir à la vie en solo dans son bain.
Le fait de passer des moments seul·e est vu comme honteux et anormal, signe de solitude et du rejet de la société : aller au cinéma seul·e, aller au restau seul·e, le fait d’être célibataire et d’apprécier cette situation, le fait de refuser une soirée pour lire dans son lit, etc.
Et bien, ce n’est pas normal ! Je dis stop. Pourquoi devrions-nous nous avoir honte de mettre en avant ce mode de fonctionnement différent ?
Les introvertis, une énergie sous-valorisée
Pourtant, nous avons été nombreux, extravertis comme introvertis, à nous sentir soulagés d’avoir (enfin !) du temps pour soi à l’arrivée du confinement en mars 2020. Ce soulagement collectif est bien le signe que nombre d’entre nous souffrons d’une sur-sollicitation sociale en continue.
Un retour à soi semble nécessaire et indispensable dans ce brouhaha incessant.
De plus, l’énergie des introvertis apporte une vraie complémentarité à celle des extravertis :
Plus silencieux et observateurs, les introvertis sont très bons pour déceler les signaux faibles. C’est Jean de la Rochebrochard, le Managing Partner de Kima Ventures qui avait confié lors d’un dîner auquel j’assistais qu’il voyait son introversion comme une vraie force car cela lui permettait d’absorber un maximum d’informations sur le marché, les nouvelles tendances et les opportunités business.
Très imaginatifs et réfléchis, les introvertis sont excellents dans les tâches analytiques et créatives. On retrouve d’ailleurs beaucoup d’introvertis dans les milieux artistiques et de l’ingénieurie.
Passer des heures en solitaire, s’isoler pour écrire, produire ou créer pendant un long laps de temps ne fait pas peur aux introvertis. Ce type d’activités étant naturels pour eux, nous leur devons la majorité de ce qui est écrit sur Internet par exemple.
Je rêve d’un monde où …
… Les introvertis se sentiraient en sécurité d’assumer leur différence et seraient encouragés à valoriser leur singularité.
Alors que le mot “féminisme” est entré dans notre vocabulaire pour redonner le droit aux femmes d’exiger leur statut d’égales face aux hommes, peut-être avons-nous en effet besoin que le mot “introvertisme” trouve une place dans le débat public.
Il se pourrait alors que le terme “extrovertsplaining” (en référence au mansplaining) suive pour dénoncer un·e extraverti·e qui forcerait un·e introverti·e à aller à une soirée à laquelle il·elle n’a pas envie.
Et que le hashtag “#aloneandhappy” serait utilisé pour revendiquer le fait d’assumer passer une soirée en solo.
Dans son livre Quiet : The Power of Introverts in a World that Can’t Stop Talking, Susan Cain dénonce le fait que trop d’introvertis se font passer pour des pseudo extravertis parce que la société est dominé par l’image de “l’Extraverti Idéal”.
Cet ”Extraverti Idéal” qui domine l’espace public est cette personne naturellement grégaire et à l’aise sous les projecteurs. Quand on y pense, cette image de l’extraverti idéal on la retrouve à toutes les étapes de notre vie, que ce soit avec la fille populaire du lycée qu’on rêvait d’être, le mec sympa qui parle à tout le monde au bureau ou encore le pote toujours près à faire le rigolo en public.
Aujourd’hui, je rêve d’un monde où ceux qui choisissent volontairement de s’isoler du groupe parce qu’ils ont envie de passer du temps avec eux-mêmes, de créer, d’être dans leur bulle, de rêvasser ou de se ressourcer, soient non seulement vus comme des stars du lycées, mais surtout, comme des personnes prenant soin de leur énergie.
Quand j’écris, je mets ma playlist en mode aléatoire. Voici les pépites qui m’ont accompagnée lors de la rédaction de cet article :